A Ménilmontant, la maire socialiste sacrifie un projet symbolique contesté par ses alliés écologistes.
Article du journal Le Monde

A Paris, le rapport de force entre la maire Anne Hidalgo et ses alliés écologistes est en train de bouger. Témoin, l’ancien terrain d’éducation physique (TEP) situé boulevard de Ménilmontant, dans le 11e arrondissement. Un minuscule dossier à l’échelle parisienne, mais extrêmement emblématique. Après des années de bras de fer, la maire socialiste a renoncé, mercredi 29 mai, au projet immobilier qui était prévu sur place, et que les riverains et les écologistes critiquaient violemment.
C’est ce qu’elle a déclaré aux élus de l’arrondissement et aux responsables de sa majorité lors d’une réunion tenue dans son grand bureau de l’Hôtel de ville. L’annonce intervient moins de 48 heures après les élections européennes, qui ont vu une percée spectaculaire de La République en marche (LRM) et des écologistes au détriment, notamment, du Parti socialiste (PS). Dans la capitale, la liste menée par Raphaël Glucksmann et soutenue par Anne Hidalgo n’a recueilli que 8,2 % des suffrages, contre 19,9 % pour celle d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Si bien que certains écologistes imaginent déjà l’un des leurs dans le fauteuil de maire en mars 2020.
Un ancien terrain de sport, « nouvelle ZAD parisienne »
« En réalité, la décision concernant le TEP de Ménilmontant avait été prise avant le scrutin, il y a une dizaine de jours », assure François Vauglin, le maire socialiste du 11e arrondissement. Elle symbolise néanmoins la nouvelle puissance des écologistes, qui ont immédiatement crié victoire et espèrent bien marquer d’autres points. Pierre-Yves Bournazel, un ancien juppéiste qui mène campagne pour l’Hôtel de ville sous ses propres couleurs, s’est lui aussi réjoui de cet abandon, appelant la maire à remettre également en cause « les projets pharaoniques de Tour Triangle ou de ZAC Bercy-Charenton, symboles d’une politique antiécologique. »
Au départ, le projet de Ménilmontant ne paraissait pas à même de provoquer une crise politique à Paris. Lancé par Bertrand Delanoë en 2011, il s’agissait d’installer un bâtiment de 85 logements sociaux, un gymnase, une déchetterie et des jardins partagés à la place d’un ancien terrain de sport, devenu une friche. Contesté d’emblée par des associations locales, le dossier a néanmoins franchi peu à peu toutes les étapes. La justice a écarté les recours qui lui avaient été soumis. Depuis quelques semaines, plus rien ne s’opposait à ce que les pelleteuses entrent en action.
Les voisins qui surveillaient les lieux nuit et jour ont immédiatement sonné l’alarme
Mais lorsque la première d’entre elles est arrivée, le 8 avril, elle n’a pas pu avancer. Les voisins qui surveillaient les lieux nuit et jour ont immédiatement sonné l’alarme, déployé une banderole, et fait venir en urgence quelques élus de gauche, bien décidés à empêcher que ce petit coin de l’Est parisien ne soit « bétonné » à son tour. A moins d’un an des élections municipales, la mairie n’a pas voulu faire intervenir la police pour passer en force. La pelleteuse est repartie.
En quelques mois, la parcelle de 11 000 m2 s’est ainsi muée en abcès de fixation politique. Les écologistes, en particulier, ont pris fait et cause pour ce terrain présenté comme « la dernière parcelle libre du 11e arrondissement », jugeant sa préservation « vitale pour la qualité de vie des habitants ». David Belliard, le patron du groupe écologiste au Conseil de Paris, a haussé le ton : « Je nous vois mal toper à nouveau avec la maire pour 2020 si elle lance ces travaux, qui vont à l’encontre de tout ce qu’il faut faire pour lutter contre le dérèglement climatique. » « Ce TEP, c’est la nouvelle ZAD parisienne ! », affirmait, de son côté, Danielle Simonnet, élue de La France insoumise.
Moins de béton et plus d’espaces verts
En face, les tenants du projet se montraient tout aussi déterminés. « Il ne faut surtout pas que nous lâchions », affirmait il y a quelques semaines Jean-Louis Missika, l’adjoint d’Anne Hidalgo chargé de l’urbanisme :
« Si on cède sur un bon projet comme celui-ci, que pourra-t-on encore construire à Paris ? »
Après avoir pesé le pour et le contre, Anne Hidalgo, elle, a préféré céder. Officiellement, il ne s’agit, cependant, pas d’un abandon complet. De nouvelles discussions doivent permettre de faire émerger un projet « recalibré », avec sans doute moins de béton et plus d’espaces verts. « Le programme était consensuel lorsqu’il a été conçu, mais aujourd’hui, avec la prise de conscience de l’urgence climatique et des menaces sur la biodiversité, on ne peut plus le faire de la même façon », admet le maire du 11e.
La décision d’Anne Hidalgo implique, cependant, de repartir à zéro, de mener une large concertation puis de déposer une nouvelle demande de permis de construire. Si bien que ce sera au prochain maire de Paris de traiter le dossier. Dans l’immédiat, l’équipe actuelle va devoir négocier le coût des dédommagements à verser à Paris Habitat et Eiffage, qui menaient le chantier. Et trouver une utilisation temporaire à ce terrain. Par exemple, en le confiant à une association qui y ferait de l’agriculture urbaine.